30 juin (soir)
Oups !
Le camping de ce soir (Löbnitz) est plutôt du genre bivouac amélioré : un champ presque vide, un container métallique pour la douche, et c'est tout. Et ça nous va très bien.
Pas de réception, bien sûr. Un campeur vient vers nous et nous explique en anglais que le propriétaire ne parle qu'Allemand. Il se propose de lui téléphoner pour le prévenir de notre arrivée.
Puis la conversation s'engage (il est bavard...). On aurait préféré commencer par monter la tente, surtout qu'on vient de prendre plusieurs averses et que la prochaine est dans pas longtemps. Mais pour une fois qu'on peut causer...
Nous lui racontons notre visite du " Runde Ecke " de ce matin en prenant un air réprobateur... Et il nous annonce qu'il a travaillé pour la Stasi, quelques semaines avant la fin du régime. Oups.
Gaffe ? Non pas vraiment. Le monsieur, fort sympathique par ailleurs, ne semble pas regretter le bon vieux temps. On a quand même changé de sujet.
Aujourd'hui il voyage dans toute l'Europe avec son camping-car. Le passé est loin...
Lundi 1er juillet
Pension Britta
Nous avançons vers Berlin, où nous devrions arriver demain soir, avec plusieurs jours d'avance : l'avantage des étapes à rallonge !
De toute façon aujourd'hui il n'y a rien d'autre à faire que pédaler, car le mauvais temps est à nouveau bien installé. Le vent nous pousse, la pluie nous poursuit... Et nous rattrape !
Alors ce soir on va dormir au sec. Et plutôt que réserver un hôtel classique, pourquoi ne pas essayer une " pension " ? C'est l'équivalent allemand du Bed and Breakfast anglais : un petit hôtel familial. Et tant qu'à faire, on a choisi l'originalité : la Pension Britta, des roulottes fabrication maison alignées dans le jardin.
Mais à notre arrivée, la dame - qui avait simplement noté " zwei Franzosen " sur son cahier de réservation, nous propose finalement une chambre avec salle de bain pour le même prix. 80 €. Pas donné, mais petit déjeuner compris ! Hé, hé !
Tactique train
Mardi 2 juillet
Traverser une grande ville à vélo, même une grande ville apaisée comme Berlin, ça reste fastidieux. Aussi, plutôt que de pédaler jusqu'au centre, nous décidons de faire étape dans une ville de banlieue, d'où nous prendrons le train.
Sur la carte, nous pointons donc Malhow, petite cité de la grande banlieue sud, directement reliée au centre de Berlin par le S-Bahn. Donc notre objectif pour aujourd'hui c'est rejoindre au plus tôt le camping repéré à l'avance et préparer notre visite de demain.
Et c'est parti pour une bonne journée de pédalage. La circulation devient plus intense à mesure que nous approchons de la capitale. L'inconvénient du réseau cyclable allemand, c'est que les itinéraires vélos les plus efficaces sont souvent le long des nationales ou des autoroutes. On y roule en toute sécurité, évidemment, mais ça peut devenir agaçant.
Alors dans ces cas-là, notre " bulle sélective " entre en action. C'est comme du Goretex mais dans l'autre sens : elle laisse entrer les couleurs, les sourires, les petits détails cocasses et repousse les pensées grises, les trucs contre lesquels il est inutile de râler puisqu'on n'y peut rien changer. On entend le bruit de fond de la ville, les moteurs qui rugissent, les avions qui décollent, on respire les gaz d'échappement, on mouille quand il pleut, on sue quand la chaleur étouffe, mais le moral reste au sec.
La ville sérieuse
Mercredi 3 juillet
Berlin.
Comme prévu nous avons laissé les vélos au camping de Mahlow.
Par les fenêtres du train le paysage défile. Des champs, des forêts, puis les zones industrielles, les zones commerciales, les immeubles, les autoroutes. On approche. Il est 9h. Chez nous ce serait l'heure de pointe. Ici c'est plutôt tranquille. Le train n'est pas bondé, pas d'énervement, pas de précipitation...
Le train nous dépose à la porte de Brandebourg. La perspective est gâchée par les installations de l'euro 2024 de football. Pour la photo, c'est râté. Mais c'est pas grave : il y en a déjà des millions, identiques, dans les serveurs de Google. Ça fait réfléchir...
Juste derrière, le Reichstag, où les groupes de touristes se succédent déjà. On peut monter dans le dôme entièrement vitré (mais c'est sur rendez-vous).
On poursuit à pied sur Unter Den Linden, jusqu'à Alexander Platz, à la recherche d'une soi-disant " horloge mondiale ". On cherchait quelque chose de grandiose (c'est quand même un monument inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO) et finalement on aurait pu passer à coté sans la voir. Quant à la place elle-même, elle n'a gardé de Stalinien que ses dimensions. C'est devenu un centre commercial comme il y en a partout, et avec les mêmes enseignes, d'ailleurs...
Sur Unter Den Linden, nous visitons une charmante évocation des années 70, dans un centre d'exposition Volkswagen : les cassettes audio, les premiers micros-ordinateurs, les calculettes, les montres digitales, et bien sûr les voitures qui vont avec. Tous ces objets ordinaires faisaient partie du paysage, on ne les voyait pas. Aujourd'hui, ils ont pris une dimension poétique. On les regarde avec nostalgie. Les derniers reflets des 30 glorieuses...
Le centre de Berlin nous donne l'impression d'une ville apaisée, plutôt horizontale (si on enlève la Fernsehturm - 369 mètres). Les avenues sont larges, bordées de bâtiments classiques à l'architecture pompeuse, péristyles à la grecque et lettres dorées aux frontons. C'est du sérieux...
Il y a évidemment beaucoup de choses " à voir, à faire " comme dit le guide du routard. Nous avons choisi de nous concentrer sur l'histoire : le musée de la RDA, le bunker de l'histoire du nazisme, et bien sûr le mémorial du mur. Et c'est déjà beaucoup pour une journée.
Le quotidien du peuple
Le musée de la RDA retrace la vie des allemands de l'est avant la chute du mur. Plein d'objets (dont un téléphone à cadran rotatif qui intrigue beaucoup les enfants...), beaucoup d'illustrations, pas de chronologie, tous les sujets sont abordés, des plus intimes aux plus politique. Il y a bien sûr l'inévitable Trabant, mais aussi la moped Simson, la reconstitution d'un appartement " moderne " (et en vérité pas si différent de ce qui se faisait chez nous à la même époque)... On baigne dans le totalitarisme ordinaire qui était le quotidien de tous ces gens. Le plus drôle, ce sont les commentaires, souvent teintés d'une auto-dérision savamment dosée (Les nostalgiques de l'ancienne RDA pourraient mal le prendre...)
Relique
Pas si facile dans la grande ville de retrouver un vrai morceau du vrai mur, dans son état et emplacement d'origine : heureusement, le mémorial du mur est là pour ça. Un parcours, sur l'ancien tracé, retrace les différentes configurations qui se sont succédées durant la guerre froide. Du simple barbelé des premières années jusqu'à la double enceinte de béton, avec pièges, caméras, patrouilles, miradors, projecteurs et tout. Pour son mur, la RDA dépensait sans compter : Si on rapporte le coût total des infrastructures au nombre de fugitifs capturés, chaque capture a coûté 2,1 millions de marks, soit 3 fois la " valeur " d'un ouvrier est-Allemand.
Et l'étanchéité n'a jamais été parfaite. Et puis, à la fin, le coeur n'y était plus... Good bye Lenine !
Comment on est-on arrivé là ?
Comment en est-on arrivé là ? C'est à cette question que le Berlin Story Bunker s'est donné pour tâche de répondre, à propos du nazisme.
C'est un vrai bunker, mais pas celui de Hitler. Celui-ci servait à la protection des berlinois en cas d'attaque aérienne. Un cube de béton de 5 étages, qui a survécu aux bombardements les plus violents. Aujourd'hui il est reconverti en exposition permanente sur l'histoire du nazisme, depuis l'enfance d'Adolf jusqu'à sa fin dans son bunker à lui. Enfin je suppose car au bout de 3 heures c'était l'heure de la fermeture. Nous n'étions qu'au premier étage et la guerre venait tout juste de commencer.
Nous n'aurons donc pas la réponse à la question posée. Mais ce qui semble certain, c'est que nul n'est à l'abri, même aujourd'hui. Les démocraties ne sont pas équipées pour se défendre contre ceux qui en rejettent les valeurs. Hitler s'est servi des institutions démocratiques pour mieux les détruire de l'intérieur.
La recette ne semble pas avoir beaucoup changé : dire et répéter ce que les gens veulent entendre, désigner un coupable, attiser les peurs, intimider les opposants, démolir par pas successifs la séparation des pouvoirs...C'est ce que font en ce moment les députés d'extrême droite au parlement Européen. Et c'est ce que veut faire le RN en France. Le Pen / Bardella n'arrivent pas à la cheville du génie du mal qu'était Hitler, mais restons vigilants. J'écris cela au lendemain des législatives de 2024. Cette fois le boulet n'est pas passé loin, mais le suivant est déjà dans le fût du canon...
Films à (re)voir : La naissance du mal et Le dictateur.
La vie de chateau
Jeudi 4 juillet
Nous quittons la région de Berlin en finissant de contourner la ville par le sud. A présent les petites agglomérations de banlieue s'espacent et font place à un méli-mélo de forêts et de lacs bordés de maisons cossues. La véloroute est ombragée, silencieuse et bien agréable.
Cachés sous les arbres, nous n'avons pas vu que le temps changeait. De retour " à l'air libre ", nous retrouvons un ciel bas et menaçant : un temps breton, mais sans le soleil.
Alors ce soir on assure : ce sera l'hôtel. Et de toute façon il n'y a pas de camping. Et coté hôtels, pas grand chose non plus. Sur la carte un nom nous attire : le " Romantik hotel Schlöss Reichenow ". Mmmh... Appétissant. C'est sur notre route, pas trop loin, et on devrait même y arriver avant la prochaine averse. 80 € petit déjeuner compris. Comme la pension Britta de lundi dernier, mais d'un tout autre standing !
Nuit calme (on est là pour dormir !) et petit déjeuner à la hauteur de nos attentes !
Jouons à saute-frontière
Vendredi 5 juillet
Le ciel ce matin est lavé, l'atmosphère est fraiche et claire. Temps breton, et avec le soleil cette fois !
Notre véloroute est maintenant une ancienne voie de chemin de fer parfaitement lisse. Nous allons tout droit vers l'Oder, qui marque la frontière avec la Pologne. Nous la franchissons sur le " pont de l'Europe ", un ancien pont ferroviaire réhabilité en 2022, et exclusivement réservé aux vélos.
Nous longeons maintenant le fleuve du coté Polonais pendant quelques dizaines de kilomètre, puis repassons en Allemagne pour la soirée.
Samedi 6 Juillet
Nous continuons de jouer à saute-frontière, roulant tantôt en Allemagne, tantôt en Pologne.
Bien que nous soyons dans l'espace Schengen, la frontière est bien visible, avec de jolis poteaux peints aux couleurs des pays, et surtout un profond fossé (antichar ?). Allemagne de l'est et Pologne étaient pourtant des " pays frères " lorsque cette ligne a été tracée. Bizarre... Mais ce n'est pas notre problème.
Et pour finir, il y a même des policiers qui fouillent les véhicules, coté Allemand. Y aurait-il des pays plus européens que d'autres ?
Aujourd'hui nous traversons Szczecin, première grande ville Polonaise sur notre route. L'occasion d'apprivoiser le code la route Polonais - surtout le code non écrit. Et c'est plutôt une bonne surprise. Il ne faut pas croire tout ce qu'on dit sur Internet. Les pistes cyclables ne sont pas toujours là mais le respect envers les piétons et les cyclistes est total. Les passages pour piétons (et cyclistes, du coup), sont littéralement sanctuarisés. Un automobiliste préfèrera piler et laisser de la gomme sur le bitume plutôt que refuser le passage à un piéton.
Ceci étant dit, Szczecin est une grande ville, et la traversée est quand même assez compliquée (en plus, c'est tout en bosses et en creux).
Enfin sortis de la ville, nous décidons de pousser un peu plus loin, jusqu'à Police (c'est le nom de la ville) où nous trouvons un petit hôtel assez marrant : c'est un ancien bâtiment industriel reconverti. Et ce soir - c'est samedi - il y a une fête privée. Barnum, tables et barbecue sont installés dans la cour. La patronne nous accueille et nous propose un dortoir avec cuisine et salle de bain commune plutôt que la chambre que nous avions réservée. Elle nous assure que de toute façon nous serons seuls. " Et vos vélos vous pouvez les mettre dans le couloir ". Au final on a donc un appartement pour le prix d'une chambre. On a fini par comprendre que l'hôtel était privatisé pour le week-end. Quant à la fête, un violent et soudain orage y a mis fin. Conclusion : très bonne affaire !
Dimanche 7 juillet
Nous repassons encore une fois en Allemagne, pour rejoindre Ueckermünde, où nous devons prendre un ferry pour Kamminke, sur la presqu'île de Usedom.
D'après nos renseignements, le ferry navigue : 1) tous les jours, 2) sauf le lundi. 3) sauf le mercredi. 4) ne navigue pas le jeudi après-midi 5) sauf certains samedi. Et il n'y a que 2 rotations par jour... Feraient mieux de nous dire quand il navigue !
Bref, faut pas se louper : C'est dimanche. l'embarquement est à 15h10. Si on le rate on attend mardi (ou alors on fait le tour à vélo). Donc ce matin, départ à l'aube (7h45), car il y a 60 km à faire, et on ne connait pas l'état du terrain.
Nous retrouvons encore une fois le ridicule fossé qui sépare les deux pays, toujours décoré de ses jolis poteaux noir-jaune-rouge d'un coté et blanc-rouge de l'autre. Coté polonais, la piste cyclable est toute neuve, bien lisse, balisée de nombreux petits signes aux couleurs de l'Europe. Et coté Allemand, plus rien. Un chemin de cailloux et de sable. Les fonds Européens ne sont pas arrivés jusque là...
Finalement, la ballade de ce matin coche presque toutes les cases : la route est belle, bien lisse, plate. Le ciel est clair. Seul le vent nous est contraire, mais nous sommes protégés des rafales par la forêt. On arrive donc beaucoup plus tôt que nécessaire à Ueckermünde.
Nous sommes au bord de OderHaff, une vaste étendue d'eau séparée de la mer Baltique par la presqu'île de Usedom. Le temps est radieux, et le vent frais ne décourage pas les plagistes. Mais l'ambiance de station balnéaire... pas notre truc. Après un rapide pique-nique, on va chercher le calme (et une pâtisserie...) dans le centre de la petite ville.
La règle c'est la règle. Point.
C'est l'heure d'embarquer pour Kamminke. Le " ferry " tient plus de la grande barque que du ferry. Il faut passer les vélos directement sur le pont avant. Mais apparemment nous devons attendre les ordres. La manoeuvre d'embarquement est sévèrement encadrée par la préposée et son capitaine; Les jurons volent (Scheize, on comprend..;). Une fois à bord, Astrid, voyageuse allemande avec qui nous faisons connaissance, nous raconte la scène : " Vous ne deviez pas bouger tant que le capitaine n'est pas à bord. Normalement, vos vélos auraient dûs être refusés car ce ne sont pas des vélos normaux. Mais " le boss " n'est pas là, vous avez de la chance. Tous les bagages doivent être détachés du vélo - Ils ont bien dit tous - et placés sous les tables, pas dessus, ou alors derrière les dossiers. Et si vous ne comprenez pas faites comme les autres voyageurs. " J'explique à Astrid que d'après la documentation les vélos spéciaux sont autorisés, qu'il faut juste payer un peu plus cher (ce que nous aurions fait si on nous l'avait demandé). Elles est d'accord avec nous, mais ici la règle, c'est la règle : Nos vélos ne sont ni des vélos normaux (autorisés), ni des vélos électriques (autorisés) ni des vélos avec remorque (autorisés aussi). Ils sont donc interdits. C'est simple !
Nous prenons une consommation à bord (très chère) pour nous faire pardonner...
A Kamminke, nous filons au camping le plus proche, où nous retrouvons Astrid, avec qui nous bavarderons toute la soirée. Politique, entre autres, car c'est dimanche d'élections en France et c'est le jour de tous les dangers...
Nuit tranquille dans un camping agréable, bien adapté aux "zelt" (toile de tente) et très bien tenu. Le lendemain, nous saluons chaleureusement Astrid et nous reprenons la route.
La prochaine ville est polonaise : Świnoujście ("chouinnwicheu").
Le récap'
- lundi 01 juillet - 92 km - Löbnitz - Treuenbrietzen
- mardi 02 juillet - 55 km - Treuenbrietzen - Mahlow
- mercredi 03 juillet - 0 km - Berlin
- jeudi 04 juillet - 79 km - Mahlov - Reichenow
- vendredi 05 juillet - 69 km - Reichenow - Schwedt
- samedi 06 juillet - 71 km - Schwedt - Police
- dimanche 07 juillet - 58 km - Police - Kamminke
Les aquarelles de Béatrice
<- Précédent |
Je me demande bien pourquoi les Allemands ont cette réputation ! (rire)
RépondreSupprimerGrâce à vous nous découvrons une Allemagne assez éloignée des stéréotypes (quoique...)
Les aquarelles de Béatrice nous enchantent.
Irina
Merci pour le partage. Vous n’avez pas , comme nous été ennuyé par la vignette zone verte !!! C’est l’avantage du vélo ….
RépondreSupprimerPolbec