15 - Le beau Danube vert


Qui coule ou tend à couler

Dimanche 1er septembre

Nous sommes de retour à Vienne. Nous entamons la 3ème partie de notre " grande promenade " : de Vienne à Genève, où nous devons être au plus tard le 27 septembre.

1300 km environ pour presque un mois... Moins de 50 kilomètres par jour. Mais c'est aussi la partie qui risque d'être la plus ondulée, puisque nous quitterons la vallée du Danube pour bifurquer vers la Suisse en passant par le lac de Constance et les chutes du Rhin. En principe, nous évitons les plus gros reliefs, mais avec des vélos chargés chaque faux-plat devient une côte. On fera comme toujours dans ce cas-là : prendre un rythme et attendre que ça se passe...

Nous avons retrouvé nos vélos et nos bagages à la Gasthaus Roderich. Nous avions prévu un petit cadeau pour remercier nos hôtes, mais la sécurité à l'aéroport de Roissy a vu les choses autrement : il paraît que les rillettes et le miel sont des liquides ! Et par conséquent interdits en bagages à main.

Le Robert :
Liquide (adj) : qui coule ou tend à couler
Liquide (n.m.) : corps à l'état liquide à température et pression ambiante.

Je vous laisse juger si ces définitions s'appliquent à un pot de rillettes et un pot de miel (que j'avais exprès choisi crémeux...), qui plus est dans la fraîcheur climatisée d'un aéroport.

Passons...

Le beau Danube vert

Lundi 2 septembre

Départ sans hâte de notre sympathique Gasthaus, puis nous rejoignons le Danube, que nous suivrons d'abord par sa rive gauche, puisqu'une belle piste bien lisse nous y invite. Si lisse qu'on y croise même des rollers.

La véloroute du Danube, c'est l'EV6, l'itinéraire cyclable le plus prestigieux d'Europe. C'est le retour de plein pied dans l'ambiance " voyage à vélo ". Il y a encore pas mal de monde sur la route. Essentiellement dans le sens contraire de nous. Les voyageurs ou les promeneurs descendent le fleuve, nous le remontons.

Il y a beaucoup de groupes de cyclistes " Rad und Reisen ". Ce sont des croisièristes que leurs hôtels flottants ont déposé quelque part et reprendront un peu plus loin. On les reconnaît car ils ont tous les mêmes vélos (souvent électriques), avec la même petite sacoche jaune devant (ou rouge, ou bleue, cela dépend du voyagiste...). Un hôtel qui suit ses touristes... L'idée est plutôt amusante.

Les petits saluts amicaux sont rares, inversement proportionnels à la fréquentation. On l'a souvent remarqué : c'est la rareté des rencontres qui entretient la fraternité entre voyageurs.

La chaleur de fin d'été est lourde et se charge d'humidité au fil des heures. Sur le beau bitume lisse et plat, nous pouvons rouler suffisamment vite pour que le courant d'air nous rafraichisse. Air climatisé automatique et proportionnel à la vitesse...

Le fleuve large, bordé par ses digues monumentales, se love en larges méandres dans une vallée qui parfois s'évanouit dans la plaine, parfois se resserre entre deux lignes de côteaux abrupts. Sur l'eau, les grands bateaux de croisière descendent le courant, poussant devant eux quelques remous qui atteignent à peine la berge. Il en faut plus pour déranger le majestueux Danube.

Belle journée pour une remise en jambes...

Ce soir, c'est camping. La nuit tombe vite, d'autant plus que nous sommes précisément au creux d'un méandre plutôt encaissé. Belle soirée à la lampe frontale, et sans moustiques !

Petit bonheur...

Même chose, en plus chaud...

Mardi 3 septembre

L'EV6 est tracée des deux côtés du fleuve. Les ponts sont rares et les bacs à courant aussi. Il faut donc faire un choix et s'y tenir. Astuce : rester sur la rive droite du fleuve pour profiter le plus longtemps possible de l'ombre.

On a beau être sur un itinéraire touristique, les campings sont rares. Et ce qui est rare est cher...

Le camping de ce soir, ce n'est pas un camping c'est un tiroir caisse... Un petit carré d'herbe déjà encombré de camping-cars, et les sanitaires sont ceux de la Gasthaus attenante, de l'autre coté de la route. Pour la vaisselle et le linge, rien. Ce soir le restaurant est fermé, mais je m'imagine traverser la salle à manger avec mon savon et ma serviette autour de la taille parmi les clients attablés...

Ce soir discussion avec un couple de suisses francophones, petite ballade au coucher de soleil. Et nuit tranquille dans notre petit coin.

Mercredi 4 septembre

Il fait de plus en plus chaud. Mais la brise d'est pour l'instant tient les cumulonimbus à distance. Du coup, le ciel reste pur... et le beau Danube est enfin bleu !

Nous approchons de Linz. Les zones industrielles que nous traversons nous coupent l'envie de nous y arrêter. Et puis il fait trop chaud. On préfère pousser 20 km de plus et faire étape dans un coin plus calme.

À Ottensheim, on trouve exactement ce qu'il nous faut : un mini-carré d'herbe verte, bien ombragé, une douche, une salle commune... et même un petit plan d'eau pour se rafraîchir. Parfait !

93 km aujourd'hui. Presque deux journées en une. Mais c'était facile...

Pas cher les kilomètres !

Jeudi 5 septembre 

Le vent, toujours aussi chaud, a eu la bonne idée de forcir et de s'orienter au sud est, exactement dans notre dos. Sauf pour quelques méandres à rebrousse-poils, une main amicale nous a donc poussés toute la journée. Des kilomètres presque gratuits...

Le paysage est devenu plus austère. Plus de vignes, plus de vergers. Le Danube, toujours aussi large, occupe tout le fond d'une vallée aux flancs escarpés. La véloroute est serrée entre le bas du massif forestier et le fleuve. A part quelques rares villages, toujours sur la rive gauche - la mieux exposée, il n'y a rien : Nous restons sur la rive droite, pour l'ombre et la tranquilité...

Nous profitons de ces conditions très favorables pour allonger les étapes. C'est de l'épargne-temps pour les mauvais jours ou les envies de repos...

Nous voilà donc ce soir â Passau, et par conséquent en Allemagne. Passau est une jolie petite ville perchée, au confluent de trois rivières. On retrouve les immeubles baroques, immaculés ou colorés de teintes pastelles de la Pologne et de la Tchéquie. On est dans une bonbonnière...

Petit camping " spécial cyclistes " (mais quand même très cher) au bord de l'Ilz, le plus petit des trois cours d'eau qui se rejoignent à Passau. Ce soir c'est nuit noire. On s'endort bercés par le vent et les glouglous de la rivière. 

Petit bonheur...

La journée umleitung

Vendredi 6 septembre

Umleitung en allemand veut dire " déviaton ". Lorsque les petits panneaux jaunes avec un " U " apparaissent dans le paysage, on sait qu'on va avoir droit à un détour. 

Il n'y a rien à dire sur la qualité du balisage. La signalisation " spéciale vélo " est abondante et très claire. Le seul problème, c'est qu'on n'a pas la vue d'ensemble. On est baladé dans la campagne sans comprendre la logique : Pourquoi cette déviation ? Où ça s'arrête ? Est-ce que ça fait un gros détour ? Du coup, on n'a pas trop confiance.

À un moment il devait manquer un panneau, ou alors (c'est plus probable) on ne l'a pas vu et on s'est perdus. À force d'essayer de renifler au hasard la bonne direction, on s'est retrouvé au bout d'un chemin qui s'est évanoui dans les orties, entre un champ de maïs et une haie infranchissable. Demi-tour. Retour à la case départ ou presque... Et enfin on a retrouvé les petits panneaux jaunes.

Résultat, l'étape d'aujourd'hui qui devait être longue... fut encore plus longue ! Plus de 100 km. Un record.

Et pour clôturer la journée, encore un camping tiroir-caisse... Sanitaire propre et beau carré d'herbe, certes, mais accueil glacial et surtout... camping envahi de moustiques ! (ça faisait longtemps). Cela ne nous a pas empêchés de discuter un moment avec Tim et Suzy (cyclo-voyageurs australo-suédois) et une autre voyageuse française dont on n'a pas su le nom, tout en claquant sans arrêt les vilaines petites bestioles.

Et puis tout le monde est rentré " chez soi ". On a chassé les mosquitos téméraires qui s'étaient infiltrés dans la tente, et puis dodo. De toutes façon à 20h30 il fait nuit.

Les gros joujoux

Samedi 7 septembre

Nous passons à Regensburg (Ratisbonne). Jolie ville. Le temps d'un repas en terrasse puis d'une flânerie dans les rues et nous repartons. 

Sur le grand fleuve, avant Kelheim, des crétins en jet-ski font des ronds dans l'eau. Ils agitent l'eau comme des forcenés et rebondissent sur leurs propres remous. Même pas l'excuse d'aller d'un point A à un point B. Consternant... 

Il paraît qu'il en faut pour tous les goûts, mais là franchement... A quoi bon s'efforcer de limiter son empreinte carbone, si c'est pour que des crétins continuent à s'amuser sur leurs gros joujoux inutiles comme si de rien n'était. 

Oups... Excusez-moi je m'emporte.

Mini-croisière surprise

Lorsque j'ai préparé l'itinéraire, je ne me suis pas rendu compte que la trace " prenait le bateau " entre Kelheim et Weltenburg.

En suivant fidèlement le trait dessiné sur l'écran du GPS, on s'est retrouvé... le long d'un quai ou attendait un bateau. Vérifications... Si, si, c'est bien ça. On achète les billets et on grimpe dans le bateau avec nos vélos chargés. 

Et c'est parti pour une mini-croisière - totalement imprévue - dans les gorges du Danube !

Presque une heure de navigation pour 7 kilomètres. Bilan pas très bon si on regarde les chiffres, mais c'était très joli. Et reposant.

Et puis il semblerait que ça nous ait évité quelques grimpettes. On n'ira pas vérifier...

Après Weltenburg, nous avons coupé par la campagne... Nous avons fait les derniers kilomètres dans la lumière déclinante du soir, sur une magnifique petite route perdue entre les collines et les plantations de houblon grimpant. Une belle récompense dans la surprise.

Voilà ce qui arrive quand on ne prépare pas tout à l'avance...

3 bâtons ça veut dire pension

Dimanche 8 septembre

Dernière journée estivale avant l'arrivée d'une perturbation. Sur " météo-radar ", la journée de demain est décorée d'un petit nuage avec 3 bâtons en dessous. Et même, à certaines heures, il y a un petit éclair jaune.

3 bâtons, ça veut dire pluie. Donc ce soir, ce sera l'hôtel. Tant pis si c'est trois fois plus cher qu'en Pologne. Et puis on a bien roulé toute la semaine, alors une bonne nuit grand confort, c'est appréciable. Hein ? Qui a dit " ouah la bonne excuse " ?

A midi, on se dépêche d'étaler la tente pour la sécher complètement, tandis que le ciel se voile progressivement.

Encore 40 km avant l'hôtel. Le vent a tourné et nous retient tandis que le ciel s'alourdit. Nous n'échapperons que de justesse aux premières averses.

Tout est casé. Séraphine et Rouletabille sont à l'abri. Dans notre chambre, on entend la pluie taper aux carreaux... Bonheur...

Le temps a varié

Lundi 9 septembre

Pas facile de quitter son petit hôtel chaleureux quand il pleut dehors. Surtout quand le frühstück est compris dans le prix et bien garni...

On fait durer le plaisir... mais voilà une accalmie, c'est le moment. Faut y aller...

Cette fois, le vent est franchement contraire et la température a dégringolé. On paye la facture de la semaine dernière. La deuxième couche de vêtement et l'imper ressortent du fond de la sacoche.

Nous décidons de pousser jusqu'à Günsburg, où nous pensons trouver un " Kanu-camping ". Le Kanu-camping, c'est le bon plan des bords du Danube : un club de canoë qui fait camping, pour ceux qui voyagent en canot... et aussi pour les cyclistes. Rudimentaire et pas trop cher (on y avait déjà goûté à Passau, sans le savoir).

Hélas, à Günsburg le Kanu-club est fermé. On aura essayé... Et comme il est déjà plus de cinq heures il est un peu tard pour espérer atteindre un camping plus loin (il n'y en a pas avant Ulm). On va donc être obligés de trouver un hôtel... Quel manque de chance !

Au final, on aura quand même fait plus de 70 km aujourd'hui, alors qu'on pensait lever le pied pour cause de mauvais temps.

D'ailleurs, il n'était pas si mauvais, le temps. 

Certes il a plu et le vent dans la campagne ouverte nous a bien gênés. Certes ça monte et ça descend dès que la trace s'écarte du fleuve. Mais la route était belle malgré tout et les trouées de soleil d'autant plus appréciées. 

Le bonheur est aussi dans la relativité...

Au revoir Danube...

Mardi 10 septembre

Notre hôtel d'hier soir était un d'un concept assez original : pas de réception, pas de hall d'accueil, personne, même pas une borne de réservation. Que des portes toutes pareilles donnant sur l'extérieur.

Il faut tout faire avec un smartphone. C'est un peu fastidieux et on peste contre cette nouvelle habitude de faire faire le boulot par le client. Mais en contrepartie, on a droit à un grand studio avec kitchenette et frigo, pour un prix correct. Et si t'as pas de smartphone tu fais comment ? Tu passes ton chemin...

Ulm, dernière grande ville que nous traversons avant de quitter le Danube. 

Le style a changé. Plus de belles façades blanches, plus de grands bâtiments classiques. On retrouve les maisons à colombages du centre de l'Allemagne, avec ici un mélange d'ancien et de moderne qui rappelle les destructions que la ville a dû subir pendant la guerre. 

La cathédrale est à nos yeux presque la copie de celle de Vienne : gothique, imposante et sans élégance. Comme une œuvre trop parfaite. Seuls les vitraux modernes lui donne un cachet particulier.

Nous avons pris le temps de visiter le Kunsthalle Weishaupt (surtout qu'il pleuvait...). C'est une sorte de galerie d'art assez marrante. Au premier étage, un mélange d'œuvres anciennes et modernes, rangées par ordre alphabétique. À la lettre B il y avait une brouette remplie de bric et de broc. Pourquoi pas...

Au second, une exposition temporaire de Wolfram Ullrich, artiste visuel, minimaliste et constructiviste comme il se définit lui-même. Je fais comme si je connaissais mais c'est faux. On est rentré dans ce musée par hasard...

Pour en revenir à l'exposition, au début on voit des carrés, des formes en relief, des tôles pliées, des structures en bois... Bof. 

Et puis on regarde mieux et là on est scotchés : l'artiste crée des structures en relief, en jouant sur les perspectives avec une précision incroyable... Au point que les murs blancs sur lesquels elles sont fixées finissent par disparaître. C'est troublant, presque renversant. Au sens propre, on en perd l'équilibre.

Peu après Ulm, nous quittons le Danube, qui n'est plus maintenant qu'une rivière tranquille, qu'aucun bateau ni jet-ski ne vient rider.

Nous avons suivi le fleuve pendant 750 km, depuis Vienne. On ne s'y est jamais ennuyé. Peut-être un peu parce que lex conditions nous étaient très favorables.

Au revoir Danube...

P'tit récap

  • dimanche 01 septembre - 2 km - Langenzerdorf (Vienne)
  • lundi 02 septembre - 83 km - Langenzerdorf - Rossatz
  • mardi 03 septembre - 67 km - Rossatz - Willersbach
  • mercredi 04 septembre - 93 km - Willersbach - Ottensheim (Linz)
  • jeudi 05 septembre - 92 km - Ottensheim - Passau
  • vendredi 06 septembre - 103 km - Passau - Straubing
  • samedi 07 septembre - 101 km - Straubing - Neustadt an der Danau
  • dimanche 08 septembre - 93 km - Neustadt an der Danau - Donauwörth
  • lundi 09 septembre - 71 km - Donauwörth - Leiphem
  • mardi 10 septembre - 42 km - Leiphem - Ersingen (Ulm)

Total : 5200 km


Coucher de soleil à Rossatz


Mini-croisiere dans les gorges du Danube




Inzel, sur une boucle du Danube

Rossatz


Mini-croisiere sur le Danube

Digue interdite aux vélos... Hum !


ˆPassau



Vienne

Séraphine dort avec nous

Bac à courant

Tous les barrages hydro-électriques servent de ponts pour les cyclistes


Le petit camping d'Ottensheim

" Oasis pour cyclistes "









Centrale à charbon
Mon gros joujoux






Camping à la ferme - Ersingen

Hôtel flottant

À Ulm il y a des boulangeries à chaque coin de rue



Les aquarelles de Béatrice






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