08 - Le rideau de vert

Lundi 24 juin

Nous croisons beaucoup de couples de promeneurs en VAE - retraités, donc, puisqu'on est lundi. Leurs vélos sont en général des modèles récents et haut de gamme de marques allemandes (on sait les reconnaître...). Ils nous dépassent et avalent les petits reliefs sans même s'en apercevoir tandis que nous sentons nos cuisses brûler à la moindre déclivité... On est assez ouverts sur le sujet de l'assistance électrique (parce qu'on sait qu'on y viendra), mais là, franchement ça nous met une petite boule en travers de la gorge... C'est décidé l'an prochain on met au programme une virée en VTTAE (traversée du Jura par exemple ? message personnel pour Sylvie et Jacques...) 

Lorsque les cyclistes sont nombreux, les bonjours et les signes amicaux disparaissent. Pas de petite communauté de voyageurs le soir dans les campings. Voyager à vélo n'étonne personne. Du coup l'effet "vélo couché" ne fonctionne plus du tout. Nous faisons partie du paysage : Petite déception...

Jurassique parc

Quelques kilomètres après Hanau les choses se compliquent. Finies les véloroutes quasi-plates, fini le vent dans le dos, il a tourné au nord (c'est le prix à payer pour un temps désormais sec et ensoleillé). La route saute de vallée en vallée, avec à chaque fois un mini-col à passer : petits "coups d'cul" sans doute négligeables pour un cycliste sportif, mais avec nos vélos chargés et nos cuisses ramollies par les étapes faciles, c'est une autre histoire. Il faut s'y remettre, retrouver le rythme, et patienter plutôt que pester...

D'abord, nous quittons la Main pour remonter doucement un de ses affluents : la jolie petite rivière Kinzig. 

Langenselbold, Rothenbergen, Gelnhausen, Wirtheim, Wächterbach, Bad Soden, Steinau... Les petits villages ou les grosses bourgades se suivent, l'altimètre grimpe doucement. A Schlüchtern, la route bifurque et grimpe franchement dans la pente. Nous quittons la Kinzig pour la Fliede, que nous descendrons jusqu'à Fulda.

Mais descendre une vallée ne veut pas dire que nous arrêtons de pédaler. Nous avançons à saute-mouton dans un paysage de collines arborées, avec des ruptures de pente plutôt brutales, surtout dans les villages. On se croirait dans le Jura, un Jura un peu aplati, qui aurait manqué de levure.

A Fulda, pas de camping. Ce sera donc l'hôtel. Et une fois de plus on s'en sort bien : une superbe chambre familiale (c'est à dire très grande), en plein centre ville, pour 58 euros... Magie des réservations de dernière minute !

Mardi 25 juin 

Ce matin petite frayeur : Nous nous arrêtons pour prendre un café après être sortis de la ville, et là je m'aperçois que ma petite sacoche n'a pas la même consistance que d'habitude : J'ai oublié mon téléphone à l'hôtel ! Heureusement nous n'étions pas loin et l'affaire fut vite réglée. Si nous n'avions pas eu cette envie de café, je ne m'en serais aperçu qu'à la pause de midi, ou plus tard encore... Hasard ou ange gardien ?

Fulda est aussi le nom de la rivière que nous suivons maintenant dans un paysage temporairement plus large qu'hier. Les collines se sont éloignées et les pentes adoucies.

Nous laissons bientôt la Fulda pour nous engager vers l'est, dans une petite vallée plus resserrée, mais à fond plat. Cependant, fond plat ne veut pas dire fin des difficultés, car la véloroute vient parfois grignoter le pied des coteaux, ce qui nous vaut quelques rampes assez désagréables, mais heureusement courtes.

La région que nous traversons est peu touristique. Conséquence : les campings y sont rares, ce qui nous oblige à enchaîner des étapes plus longues que prévu. Avantage : on crédite du temps pour de futurs arrêts prolongés, au gré de nos envies. Inconvénient : pas beaucoup de temps le soir pour écrire (Alain) ou dessiner (Béatrice).

Encore une petite bosse, et nous passons maintenant dans la vallée de la Werra. 

Le petit camping de ce soir est atypique : un tout petit pré au bord de la rivière, un petit bloc sanitaire, une immense cuisine commune... Et 15 euros par personne ! En espèce et sans facture. Encore des sous qui iront dans une chaussette sans passer par la case comptabilité...

Changement de décor

Mercredi 26 juin

Depuis que nous sommes en Allemagne, nous roulons plus ou moins le long de fleuves et de rivières. L'ambiance est le plus souvent très champêtre, malgré quelques zones industrielles qui semblent tomber du ciel. Et à part le fait de changer de vallée de temps en temps, la route est plutôt facile. On se promène dans un grand jardin.

Mais maintenant c'est terminé. Nous quittons la rivière Werra, nous traversons une zone de friches et de forêt, puis nous grimpons sur un plateau. Devant nous, des plaines céréalières à perte de vue, des fermes aux immenses bâtiments parfois décrépis, des gros bourgs tristes aux larges rues pavées ou au bitume défoncé, sans commerces, parfois sans clocher d'église.

Sans nous en rendre compte, nous venons de passer dans ce qui fut jusqu'en 1989 la bien mal nommée République Démocratique Allemande. Bien entendu, le " rideau de fer " proprement dit a depuis longtemps disparu, mais il en reste quelque chose, comme une empreinte, une trace fossilisée dans le sol.

Et le contraste est d'autant plus violent que nous traversons ce qui fut précisement le " no man's land " coté RDA : une large bande de terrain le long des fortifications, dont la population a été expulsée pour empêcher toute assistance aux fugitifs. Débarassée de toute activité humaine, la nature y a repris ses droits. C'est même devenu officiellement une réserve naturelle, longue de 1400 km et large de 600 mètres : la ceinture verte européenne.

Heureusement, cette ambiance post-atomique s'estompe au fur et à mesure que nous avançons dans l'ex-république Stalinienne. Les villages à visage humain réapparaissent (mais toujours avec les rues pavées), les villes gardent encore quelques traces de leur passé austère, mais les quartiers modernes n'ont rien à envier aux autres métropoles allemandes.

Pourtant, 35 ans après la chute du mur, les régions de l'ex-RDA n'ont pas encore rattrapé le reste du pays. A notre manière, nous le constatons : moins de VAE haut de gamme, moins de retraités en promenade, moins de BMW et plus de Dacia, quelques vieilles mopeds, une Trabant encore dans son jus, et même une Wartburg 353, datant des toutes dernières années du régime.

Nous passons Eisenach, ville sans âme. Nous sommes déjà à la recherche de l'étape de ce soir bien qu'il ne soit que midi. Par ici les campings sont encore plus rares et nous voulons autant que possible éviter tout détour. Mais là, pas le choix. Nous nous dirigeons vers Drei Gleichen, seul camping à peu près à notre portée et pas trop éloigné de notre route. Encore une étape plus longue que prévue.

Mais ça valait le coup. Le camping est une oasis de verdure dans un océan jaune de blés déjà mûrs. On y a sympathisé avec un couple de cyclo-voyageurs (allemands, bien sûr. Il n'y a pas de touristes étrangers par ici).

Jeudi 27 juin

Erfurt n'est qu'à 36 kilomètres. C'est peu, mais cela suffira pour aujourd'hui. En effet, depuis que nous avons repris la route, la rareté des campings nous oblige à allonger les étapes. Ce n'est pas tant la fatigue - le terrain est globalement facile - mais le temps que ça demande : nous partons le matin souvent un peu avant 9 heures, et nous roulons jusqu'à 17-18 heures. Et comme la nuit tombe vite, il ne reste plus beaucoup de temps pour écrire ou dessiner...

Cet après-midi, c'est donc repos. Au soleil et sans moustiques !

Vendredi 28 juin

Après Erfurt, sur notre route il y a Weimar. La ville est connue pour avoir hébergé le parlement de la première démocratie allemande en 1919.

Comme chacun sait, ça à mal fini... Et on ne peut s'empêcher de faire le parallèle avec ce qui se passe en France en ce moment. " On n'a pas encore essayé " disent certains, en parlant du FN. Rappelons que Hitler a d'abord été élu. Les allemands non plus n'avaient pas encore essayé... 

Marx disait : " l'histoire se répète toujours deux fois. La première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce ". En l'occurrence, je ne suis même pas sûr que la farce qui nous attend au soir du 7 juillet soit de meilleur augure.

Et pendant que j'y suis : " Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre " (Churchill).

A Weimar, la maison de la république retrace cette période de l'histoire Allemande, avec notamment un documentaire très factuel. On comprend l'enchaînement de causes et d'effets qui ont provoqué la faillite de cette république : l'attitude humiliante des vainqueurs de 14-18 (le traité de Versailles), une crise économique, des gouvernants pusillanimes, et la révélation d'un génie du mal....

Samedi 29 juin

Après Weimar, nous échappons pour un temps aux immenses plaines de culture intensive et retrouvons avec plaisir l'Allemagne des jolies rivières tranquilles de Hesse et de Thüringe. Cette fois, c'est l'Ilm, puis la Saale, que nous suivons, dans des vallées tantôt encaissées tantôt larges. La véloroute parfois saute par dessus les méandres ou rebondit d'un coteau à l'autre, ce qui nous vaut quelques pentes aussi brutales que sévères.

Nous approchons à présent de Leipzig en VAE - Vélo à Assistance Eolienne. En clair : le vent nous pousse, et c'est bien agréable, malgré la chaleur orageuse qui monte.

La ville est très étendue, mais comme partout en Allemagne le réseau cyclable est bien organisé. Les franchissements d'échangeurs ou de gros carrefours sont toujours prévus, même si c'est parfois fastidieux (priorité à la bagnole, ne l'oublions pas...).

Ce soir c'est samedi, et le samedi mieux vaut éviter les campings. Nous choisissons un petit hôtel pas cher dans un quartier délabré, quoique proche du centre. C'est assez atypique (une salle de bain pour 3 chambres) mais vaste et confortable. Malgré les sirènes hurlantes et les vibrations des vieux tramways qui passent dans la rue, nous trouvons le sommeil. C'était encore une bonne étape.

Dimanche 30 Juin

Comme nous avons pris pas mal d'avance, nous restons à Leipzig ce matin. Au programme : la visite du " Runde Ecke ", le bâtiment d'où sévissait la tristement célèbre Stasi, la police secrète de la RDA.

Dès l'entrée de l'immeuble, on est dans l'ambiance : c'est sombre, c'est glauque, c'est moche, c'est poussiéreux, ça sent le renfermé. Tout est resté en l'état, dans son jus. La Stasi, c'était 90 000 fonctionnaires permanents et 180 000 " informateurs non officiels ", autrement dit mouchards. Tout le monde surveillait tout le monde, jusque dans les aspects les plus intimes de la vie quotidienne. Conversations enregistrées, courriers épluchés, appartements visités... Les technologies les plus modernes (pour l'époque et le pays) ou les plus inattendues étaient utilisées pour débusquer les " agents subversifs ". La Stasi avait tous les droits, sans aucun contrôle judiciaire. Une organisation hyper-hiérarchisée, un état dans l'état, tournant en rond, machiavélique, paranoïaque et inutile.

Un conseil : voir ou revoir les films " Good bye Lenine " et " La vie des autres

Le parcours de visite, précis et factuel, permet d'observer et de comprendre jusque dans les moindres détails le fonctionnement de ce régime qui n'a de démocratique que le nom, et par extension de tous les régimes totalitaires passés, présents, et je n'ose pas dire futurs... 

Et c'est ici qu'un certain Vladimir Poutine a appris son métier... (En fait, c'était à Dresde, mais c'est pareil)

Glaçant.

Petit récap'

  • lundi 24 juin - 91 km - Hanau - Fulda
  • mardi 25 juin - 88 km - Fulda - Berka/Werra
  • mercredi 26 juin - 80 km - Berka/Werra - Drei Gleichen
  • jeudi 27 juin - 36 km - Drei Gleichen - Erfurt
  • vendredi 28 juin - 67 km - Erfurt - Rudelsburg
  • samedi 29 juin - 73 km - Rudelsburg - Leipzig
  • dimanche 30 juin - 40 km - Leipzig - Löbnitz

Total au 30 juin : 2051 km

Hanau


Prétexte pour entrer dans ce magasin : besoin d'huile pour la chaîne...


Fulda


Le petit camping à Berka / Werra

Gotha


Eisenach

Zu viel ist zu viel : trop c'est trop !

Petit village Allemagne de l'est

Drei Gleichen




Erfurt


Opéra de Weimar (siège du parlement en 1919)

Weimar

Triomphe du capitalisme

Inhalateur à Bad Sulza. De l'eau salée s'écoule en permanence. Le vent passe au travers. On s'assoit en dessous pour respirer l'air chargé de sel.

Nostalgique

Dans presque tous les villages, les rues sont pavées

Leipzig, quartier de notre hôtel

Leipzig

Leipzig, passage Madler

Les aquarelles de Béatrice




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Commentaires

  1. Pas de souci Alain pour le Jura a VTT. C'est toi qu'on voit sur la dernière Aquarelle de Béatrice? 🤣

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  2. Ouffff ! Le sursaut a eu lieu et la peste brune retourne dans son trou !
    Bravo Alain pour tes commentaires passionnants et les aquarelles de Béatrice. Quel talent ! On attend avec impatience une publication officielle de vos aventures en vélos couchés. Que vos anges gardiens continuent à veiller sur vous.
    Irina

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  3. Bonjour a vous deux
    C'est vrai, les recits, photos et dessins sont toujours aussi passionnants et justes ! Heureusement un petit sursaut cytoyen nous a fait échapper au pire mais rien n'est gagné. Tu as raison Alain, l'histoire doit imprégner notre mémoire.
    Côté velo, la semaine dernière c'était VTT, un circuit dans le Lot et le Quercy, supers paysages. On repart lundi pour une petite semaine en Bretagne toujours à vélo, puis ce sera le sud pour canyonning et Velo.
    Bises à vous deux

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